
Dans un monde où les frontières se redessinent au gré des tensions, la nationalité devient un enjeu crucial. Instrument politique redoutable, elle cristallise les revendications identitaires et attise les conflits ethniques. Décryptage d’un phénomène aux conséquences dévastatrices.
Les origines du lien entre nationalité et ethnicité
Le concept de nationalité est intrinsèquement lié à celui d’État-nation, apparu au 19ème siècle en Europe. Cette notion repose sur l’idée qu’à chaque peuple correspond un territoire et un État. Ainsi, la nationalité devient le marqueur juridique de l’appartenance à une communauté nationale, souvent définie par des critères ethniques, linguistiques ou culturels.
Cette conception a conduit à la création d’États homogènes sur le plan ethnique, comme en Allemagne ou en Italie. Toutefois, elle s’est heurtée à la réalité de sociétés multiethniques, notamment dans les Balkans ou en Afrique, où les frontières ont été tracées arbitrairement par les puissances coloniales.
La nationalité comme outil d’exclusion
Dans les contextes de tensions interethniques, la nationalité peut devenir un puissant instrument d’exclusion. Les États peuvent modifier leurs lois sur la nationalité pour priver certains groupes de leurs droits fondamentaux, les rendant apatrides de facto ou de jure.
Un exemple flagrant est celui des Rohingyas en Birmanie. En 1982, une nouvelle loi sur la citoyenneté les a exclus de la liste des ethnies reconnues, les privant ainsi de la nationalité birmane. Cette décision a ouvert la voie à des décennies de persécutions et à l’exode massif de cette population.
De même, après la dissolution de l’URSS, de nombreux États ont adopté des politiques de nationalité restrictives, laissant des centaines de milliers de personnes sans papiers, particulièrement en Estonie et en Lettonie.
La nationalité comme enjeu des conflits territoriaux
Les conflits territoriaux s’accompagnent souvent de litiges sur la nationalité des populations locales. L’attribution ou le retrait de la nationalité devient alors un moyen de revendiquer la souveraineté sur un territoire disputé.
Le conflit en Ukraine illustre parfaitement cette problématique. L’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 s’est accompagnée de l’octroi massif de la nationalité russe aux habitants de la péninsule, tandis que l’Ukraine considère toujours ces personnes comme ses ressortissants.
De même, dans le Haut-Karabakh, région disputée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, la question de la nationalité des habitants reste un point de friction majeur, compliquant toute résolution du conflit.
Les conséquences humanitaires de l’instrumentalisation de la nationalité
L’utilisation de la nationalité comme arme dans les conflits ethniques a des conséquences humanitaires désastreuses. Les personnes privées de nationalité se retrouvent dans un vide juridique, sans protection étatique et vulnérables à toutes formes d’abus.
L’apatridie qui en résulte prive les individus de droits fondamentaux tels que l’accès à l’éducation, aux soins de santé ou à l’emploi formel. Elle les expose à la détention arbitraire et limite leur liberté de mouvement.
Les enfants sont particulièrement touchés par cette problématique. Nés de parents apatrides ou dans des zones de conflit, ils risquent de se voir refuser l’enregistrement de leur naissance, perpétuant ainsi le cycle de l’apatridie sur plusieurs générations.
Les efforts de la communauté internationale
Face à ces enjeux, la communauté internationale tente d’apporter des réponses. Les conventions de 1954 et 1961 sur l’apatridie visent à garantir un statut juridique minimal aux apatrides et à réduire les cas d’apatridie.
Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) mène une campagne mondiale pour mettre fin à l’apatridie d’ici 2024. Cette initiative encourage les États à adhérer aux conventions sur l’apatridie, à réformer leurs lois sur la nationalité et à garantir l’enregistrement des naissances.
Des progrès ont été réalisés dans certains pays. Le Kenya, par exemple, a reconnu la nationalité de la communauté Makonde en 2017, après des décennies d’apatridie. La Côte d’Ivoire a adopté des procédures spéciales pour permettre aux apatrides de longue date d’acquérir la nationalité ivoirienne.
Vers une redéfinition du concept de nationalité ?
Les défis posés par l’instrumentalisation de la nationalité dans les conflits ethniques soulèvent des questions fondamentales sur la pertinence du concept même de nationalité dans un monde globalisé.
Certains experts plaident pour une approche plus inclusive de la citoyenneté, basée sur la résidence plutôt que sur l’ethnicité ou l’ascendance. D’autres proposent de renforcer les protections internationales pour les apatrides et de développer un statut de « citoyen du monde » qui garantirait des droits fondamentaux indépendamment de la nationalité.
Ces réflexions s’inscrivent dans un débat plus large sur la nature de l’État-nation au 21ème siècle et sur la nécessité de repenser les fondements de notre organisation politique mondiale pour mieux répondre aux défis contemporains.
L’instrumentalisation de la nationalité dans les conflits ethniques reste un défi majeur pour la paix et la stabilité mondiales. Si des progrès ont été réalisés, beaucoup reste à faire pour garantir le droit fondamental à une nationalité et prévenir l’utilisation de ce statut comme arme politique. Une approche globale, impliquant les États, les organisations internationales et la société civile, est nécessaire pour résoudre cette problématique complexe et protéger les droits des populations vulnérables.